De nécessite vertu

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samedi 19 décembre 2015

Avant de rejoindre le grand soleil, Daniel Parokia




   Il ne faut pas mésestimer le spleen estival : il est souvent à l’origine de jolis romans. 
Avant de rejoindre le grand soleil de Daniel Parokia en est un. En lice pour le prix de Flore (comme Les Années Foch), ce récit à la tonalité fitzgeraldienne assumée nous ramène à l’été 1959, sur une Côte d’Azur mythifiée. Joël, qui n’a pas de raison d’être sérieux puisqu’il a dix-sept ans, fait la connaissance des jumeaux Gilles et Liliane Blin, la vingtaine dorée et dilettante. C’est pour Joël l’occasion de croire enfin aux vacances, lui qui songe vaguement au « bonheur prétendu d’exister ».

 Après deux chapitres déroutants qui narre la création de l’Ambre Solaire et s’attarde sur la question des tempêtes solaires, le roman se dévoile enfin. Le charme, le romanesque ont alors toute leur place. Devant cet horizon de cap, de golfs et de dancings, le trio s’ébroue parmi les vagues et les arbousiers. Les jours « s’effilochent comme une dentelle ». Une « triste sensation de bouche sèche que ni le pastis ni les bains de mer n’arrivent à chasser » domine. Liliane allume des Lucky Strike Classic à son frère Gilles, bronze seins nus, propose à Joël de l’ambre solaire, « cet accord rosé, vanillé et poudré qui serait toujours associé au bonheur ». Joël en pince pour Liliane. Evidentemente. Avant elle, il « fumait nonchalamment ses cigarettes américaines » sur sa terrasse accablée de chaleur. Il ne se voyait pas d’avenir immédiat ; il n’y avait « que la vie, le temps et leur lente patine ». Avant elle, il « était prêt à désespérer ». Désormais, il y a des étreintes, des robes échancrées et des jeux de plages. On parle de bains de minuit à Pampelonne. On s’enivre. On vadrouille en « Floride bleu décapotée », s’habille en pantalon Vichy, boit des Campari. A Saint-Tropez, on croit apercevoir Bardot, Maurice Ronet ; on regarde le défilé des Jaguar, Bugatti et autres Aston-Martin.

 Bientôt, Liliane se montre « distante, fuyante » ; elle trouve à Joël des « goûts de vieux ». Elle est « si décevante » tranche-t-il amèrement. L’insouciance se mue en désenchantement et petites cruautés. Et le pire est à venir. Dans la moiteur de la Riviera s’invite un jeune architecte un peu poseur et la candide Evelyne. Elle lit des poèmes chinois, fume immanquablement des Royales, participe à l’élection de Miss Canadel et trouve Joël à son goût. Tout ce petit monde se retrouve au casino de Monte-Carlo et bientôt au cœur d’une excursion maritime qui vire au tragique. Les contusions sentimentales paraissent bien futiles après ça. La mélancolie balnéaire des fifties finissantes se mêle à la fureur du monde : bientôt, c’est l’Algérie, la catastrophe du barrage de Fréjus, la fin de l’innocence.

 Ce roman se caractérise surtout par son style : il est à la fois une réussite et une interrogation. On trouve un vrai ton, des dialogues amusants et habiles, de jolies formules (« les yeux de Liliane, des mélodrames, semblaient chanter une chanson des rues »). Il y a foisonnement de détails, notamment sur les papillons, qui trouveront certes leur utilité mais qui brouillent parfois la lecture. Et puis, de manière assez surprenante, une certaine lourdeur, une impression de surécriture gâte le récit. On trouve des phrases comme : « Pensif, il avait vu la volute vert émeraude s’enfoncer d’un trait vif dans l’alcool incolore, et diffuser dans une corolle en expansion constante, champignon à l’envers dont l’explosion, maintenant, le remplissait de mélancolie » … Heureusement que la phrase précédente est « Gilles sirotait un cocktail menthe » … Et de manière générale, la surabondance d’un vocabulaire technique entache certaines phrases : « C’étaient des vagues de courtes périodes. On voyait se succéder leurs ombilics hyperboliques dont le contour anguleux s’effilait en rebroussements, devenant instable, fragile sur les brisants, ce qui donnait, çà et là, des déferlantes » … Bref, quand c’est trop, c’est Tropico. Pour décrire une vague, Morand parlait « d’une fierté abaissée par une autre » … 

 L’atmosphère de l’époque et de la région (« de petits pèlerinages fitzgeraldiens ») est très bien rendue. Il se dégage de ce récit un vrai charme, une certaine nostalgie qui va bien au teint. Les amateurs de Fitzgerald trouveront quelques passages sympathiques : l’expression « vieux frère » est lancée, les protagonistes parlent de scier en deux un garçon de café… L’été et sa langueur monotone, son spleen, ses instants de grâce sont autant d’ingrédients qui participent à la réussite du roman de Daniel Parokia.

Daniel Parokia, Avant de rejoindre le grand soleil, Buchet-Chastel

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