Il ne faut pas mésestimer le spleen estival : il est souvent à l’origine de jolis romans. Avant de rejoindre le grand soleil de Daniel Parokia en est un. En lice pour le prix de Flore (comme Les Années Foch), ce récit à la tonalité fitzgeraldienne assumée nous ramène à l’été 1959, sur une Côte d’Azur mythifiée. Joël, qui n’a pas de raison d’être sérieux puisqu’il a dix-sept ans, fait la connaissance des jumeaux Gilles et Liliane Blin, la vingtaine dorée et dilettante. C’est pour Joël l’occasion de croire enfin aux vacances, lui qui songe vaguement au « bonheur prétendu d’exister ».
Après deux chapitres déroutants qui narre la création de
l’Ambre Solaire et s’attarde sur la question des tempêtes solaires, le roman se
dévoile enfin. Le charme, le romanesque ont alors toute leur place. Devant cet
horizon de cap, de golfs et de dancings, le trio s’ébroue parmi les vagues et
les arbousiers. Les jours « s’effilochent comme une dentelle ».
Une « triste sensation de bouche sèche que ni le pastis ni les bains de
mer n’arrivent à chasser » domine. Liliane allume des Lucky Strike Classic
à son frère Gilles, bronze seins nus, propose à Joël de l’ambre solaire,
« cet accord rosé, vanillé et poudré qui serait toujours associé au
bonheur ». Joël en pince pour Liliane. Evidentemente. Avant
elle, il « fumait nonchalamment ses cigarettes américaines » sur sa
terrasse accablée de chaleur. Il ne se voyait pas d’avenir immédiat ; il
n’y avait « que la vie, le temps et leur lente patine ». Avant elle,
il « était prêt à désespérer ». Désormais, il y a des étreintes, des
robes échancrées et des jeux de plages. On parle de bains de minuit à
Pampelonne. On s’enivre. On vadrouille en « Floride bleu décapotée »,
s’habille en pantalon Vichy, boit des Campari. A Saint-Tropez, on croit
apercevoir Bardot, Maurice Ronet ; on regarde le défilé des Jaguar,
Bugatti et autres Aston-Martin.
Bientôt, Liliane se montre « distante,
fuyante » ; elle trouve à Joël des « goûts de vieux ».
Elle est « si décevante » tranche-t-il amèrement. L’insouciance se
mue en désenchantement et petites cruautés. Et le pire est à venir. Dans la
moiteur de la Riviera s’invite un jeune architecte un peu poseur et la candide
Evelyne. Elle lit des poèmes chinois, fume immanquablement des Royales,
participe à l’élection de Miss Canadel et trouve Joël à son goût. Tout ce petit
monde se retrouve au casino de Monte-Carlo et bientôt au cœur d’une excursion
maritime qui vire au tragique. Les contusions sentimentales paraissent bien
futiles après ça. La mélancolie balnéaire des fifties finissantes se mêle à la
fureur du monde : bientôt, c’est l’Algérie, la catastrophe du barrage de
Fréjus, la fin de l’innocence.
Ce roman se caractérise surtout par son style : il est
à la fois une réussite et une interrogation. On trouve un vrai ton, des
dialogues amusants et habiles, de jolies formules (« les yeux de Liliane,
des mélodrames, semblaient chanter une chanson des rues »). Il y a foisonnement
de détails, notamment sur les papillons, qui trouveront certes leur utilité
mais qui brouillent parfois la lecture. Et puis, de manière assez surprenante,
une certaine lourdeur, une impression de surécriture gâte le récit. On trouve
des phrases comme : « Pensif,
il avait vu la volute vert émeraude s’enfoncer d’un trait vif dans l’alcool
incolore, et diffuser dans une corolle en expansion constante, champignon à
l’envers dont l’explosion, maintenant, le remplissait de mélancolie »
… Heureusement que la phrase précédente est « Gilles sirotait un cocktail menthe » …
Et de manière générale, la surabondance d’un vocabulaire technique entache
certaines phrases : « C’étaient
des vagues de courtes périodes. On voyait se succéder leurs ombilics
hyperboliques dont le contour anguleux s’effilait en rebroussements, devenant
instable, fragile sur les brisants, ce qui donnait, çà et là, des déferlantes »
… Bref, quand c’est trop, c’est Tropico. Pour décrire une vague, Morand parlait
« d’une fierté abaissée par une autre » …
L’atmosphère de l’époque et de la région (« de petits
pèlerinages fitzgeraldiens ») est très bien rendue. Il se dégage de ce
récit un vrai charme, une certaine nostalgie qui va bien au teint. Les amateurs
de Fitzgerald trouveront quelques passages sympathiques : l’expression
« vieux frère » est lancée, les protagonistes parlent de scier en
deux un garçon de café… L’été et sa langueur monotone, son spleen, ses instants
de grâce sont autant d’ingrédients qui participent à la réussite du roman de
Daniel Parokia.
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