De nécessite vertu

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mardi 15 décembre 2015

André Fraigneau ou l’élégance du phénix, Bertrand Galimard Flavigny




André Fraigneau. Sur un demi-siècle, il a rassemblé trois générations de lecteurs. Edmond Jaloux, Chardonne, Brasillach l’ont fait découvrir. En 1956, à l’initiative de Michel Déon, les « Hussards » écrivent des cartes-préfaces pour la parution de l'Amour vagabond : « Durant tout le temps que Fraigneau avait pratiquement cessé d'écrire, il me semblait que la nuit tombât plus vite. Je crois maintenant que les jours vont rallonger » résume Blondin qui, comme Déon, lui dédiera son premier roman. Ils le considéraient comme un maître en écriture, en lecture ; Nimier avouait même : « Fraigneau nous a donné des leçons d’admiration ». La troisième génération l’accompagna jusqu’à sa mort, le 30 avril 1991.  Olivier Frébourg et Jean-René Van der Plaetsen dînaient avec lui chaque lundi. Et Bertrand Galimard Flavigny, dans les années 80, enregistra avec lui cinq émissions à la radio, dont les entretiens sont retranscris dans ce juste et élégant livre que lui consacre les Editions Séguier : André Fraigneau ou l’élégance du phénix (avec une jolie préface de Michel Déon.) A noter également, le dernier numéro de la Revue Livr’Arbitres, consacré à Fraigneau, sous la direction de Michel Mourlet.

 André Fraigneau. Il voulait "écrire sur la grandeur".  La grandeur sans fracas ni fanfare. Avec noblesse. L’annonce, franche et limpide, était faite dès la première ligne de son premier livre. Il prenait soin d’ajouter : « mais à qui écrire ? On n’écrit pas pour soi. » C’est ainsi que débute Val de Grâce (1930). Livre talisman pour tous les aficionados de Fraigneau. Le paragraphe qui en découle est l’un des plus forts premiers paragraphes de roman. « Son nom s'est transmis comme un mot de passe et son œuvre comme un sésame » écrira Pol Vandromme. Il avait la Grèce et l’Italie au cœur (« On vit en Grèce dans la familiarité avec les dieux, on a cessé d’être humain. On devient meilleur en Italie, mais en passant par l’humain »), le bon goût de boire du whisky et d’en offrir, aimait à fumer cigarette sur cigarette, considérait « l’amour comme un plaisir civilisé ». Il inventa, selon Dominique Villemot, « le présent du subjectif ». Son journal apocryphe de Louis II de Bavière a inspiré des scènes à Visconti pour son Ludwig ou le Crépuscule des Dieux. Comme le souligne Bertrand Galimard Flavigny, son art de vivre « ressemble à son écriture, elle est juste, précise et imagée ».

 André Fraigneau. Latiniste, helléniste, il était à la fois romancier, portraitiste hors-pair, essayiste, éditeur. D’une grande liberté d’esprit et d’une saine curiosité, il fut conseillé littéraire chez Grasset, puis à la Table Ronde, enfin chez Stock. Dans Bagages pour Vancouver, Michel Déon se rappelle qu'André Fraigneau arrachait littéralement – à lui et à d’autres écrivains – « une à une les pages des romans qu'ils auraient sans lui longtemps remis au lendemain, c'est-à-dire peut-être jamais ». Il était un véritable « initiateur » (Pol Vandromme). Il avait plus que tout le sens de l’amitié. La Rhumerie martiniquaise le voyait souvent coudoyer Déon et Blondin : « Nous nous retrouvions là, chacun apportant son dernier chapitre. Antoine Blondin écrivait L’Europe buissonnière, Michel Déon, Je ne veux jamais l’oublier, et moi L’Amour vagabond ». Il avait pour ami Cocteau, Drieu, Brasillach. Malraux insista pour que l’on publiât chez Gallimard. Marguerite Yourcenar le harcelait. Elle aimait à raconter cette jolie anecdote : l’éditeur Bernard Grasset, constatant les quelque 800 exemplaires de ses livres vendus dans l’année, disait à Fraigneau : « Mon petit, qu’est-ce que nous faisons ? » - « Monsieur, de toute façon, c’est la qualité » - « Eh bien, si c’est la qualité, allons-y ».

 Du destin romanesque de Guillaume Francoeur (L'IrrésistibleCamp-Volant et La Fleur de l'âge) au cycle des journaux apocryphes (Le Livre de raison d'un roi fouJournal profane d'un solitaire), André Fraigneau a composé une œuvre riche qui a influencé bons nombres d’écrivains. Jacques Chardonne avait tout dit quand il écrivit à Roger Nimier, en 1954 : « Fraigneau a la meilleure plume aujourd’hui dans le style sec et brillant, le style qui a de l’esprit et qui fait sourire de bonheur ». Entretiens recueillis par Bertrand Galimard Flavigny, témoignages d’écrivains qui l’ont côtoyé et de ceux qui l’ont suivi, chroniques de Fraigneau lui-même, André Fraigneau ou l’élégance du phénix est le livre idéal pour découvrir ou redécouvrir l’auteur du Val de Grâce.

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