De nécessite vertu

De nécessite vertu

dimanche 31 janvier 2016

Eternelle lumière verte



Francis Scott Fitzgerald, avec Hemingway, c'était ce qui se faisait de mieux dans la littérature d’avant-guerre. 

Ces « malgré-nous » de la littérature, coincés entre l’Armistice et le crash de Wall Street, étaient arrivés à destination du « désenchantement». Ne leur restait qu'à inclure les remugles de cette période dans des romans trempés dans du champagne frelaté.... .  



« Gatsby avait foi en cette lumière verte, en cet avenir orgastique qui chaque année recule devant nous. Pour le moment, il nous échappe. Mais c’est sans importance. Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons le bras plus avant... Et, un beau matin... Et nous luttons ainsi, barque à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé. » 
F.S. Fitzgerald

mardi 19 janvier 2016

Michel Piccoli: les choses de sa vie



«Je suis un vieil homme à la mémoire trouée», énonce Michel Piccoli dans son livre de confidences, J’ai vécu dans mes rêves.
Dans cet ouvrage, l’acteur, qui vient de fêter ses 90 ans, échange de belles lettres avec Gilles Jacob (à croire qu'il n'y a rien que cet homme ne sache faire sans classe). 
L’ancien président du festival de Cannes s’est en effet mis martel en tête de faire sortir de son silence celui que le grand public découvrit donnant la réplique à Brigitte Bardot, resplendissante dans la lumière du soleil méditerranéen du Mépris, en 1963.


Michel Piccoli, c’est tout de même près de 200 films, 4 césars du meilleur acteur et deux molières entre 1982 et 2007. 
C'est la scène de la machine à écrire des Choses de la vie, une séance de projection privée avec Fritz Lang dans le Mépris, ou encore une pêche aux écrevisses pagnolesque dans Milou en Mai.
Grâce à Habemus papam, l'homme se paya même le luxe de refuser d'être pape ! Autant le dire tout de suite, Michel Piccoli, ce n'est pas n'importe quoi. 

De son coup de foudre avec Juliette Greco à la relation amicale qu’il entretenait avec Romy Schneider, tous les aspects de sa vie sont abordés dans cette autobiographie. Les bons comme les mauvais.  
Cette ‘’somme’’ de souvenirs s’avère au final précieuse, mais surtout bouleversante. Car le nonagénaire le plus fringuant du cinéma français a encore de très beaux restes, tant stylistiques que cérébraux, sous ce grand front à la Victor Hugo. Et il compte bien nous le prouver.
Au fil des pages, l'acteur raconte ses débuts au théâtre, comment il exerça ce difficile métier de comédien dans un dépouillement total ; refusant de prendre un impressario pour négocier ses contrats, ignorant son image, privilégiant les projets les plus intéressants artistiquement.  «J’espère que nous n’apparaîtrons pas en crânerie à vouloir figurer dans un livre. Il est si compliqué de parler de soi», glisse-t-il en réponse à Gilles Jacob, qui l’interroge sur sa vocation.  
A 90 ans, tant d’humilité force l’admiration.
Alors, amis producteurs, réalisateurs, metteurs en scènes, vous n'auriez pas un rôle pour un petit jeune qui débute ?
Allez soyez chics quoi !
Lui ne rêve que de ça la nuit en tout cas, au mépris de sa santé vacillante.
Pouvoir bondir de nouveau sur les planches, conduire des bolides la cigarette au bord des lèvres, et épater ses conquêtes. «J'aimerais ne pas mourir !», clame-t-il haut et fort. Ce dont rêve tout homme finalement.


J'ai vécu dans mes rêves, Michel Piccoli avec Gilles Jacob.
Editions Grasset.
160p, 16 €

mardi 5 janvier 2016

Correspondances Chardonne/Morand, Morand/Nimier : feux croisés




 Les aficionados Morandiens sont à la fête. Leurs amis Chardonniens ne sont pas en reste. Les copains de Nimier également. Parution du deuxième volume de la Correspondance Chardonne/Morand, ainsi que de la Correspondance Morand/Nimier chez Gallimard, collection Blanche. Il faudrait ajouter, pour être un parfait gentleman, la Correspondance Chardonne/Nimier publiée, elle, il y a vingt ans. 

  Ces correspondances, comme la confiture d’orange, parlent à l’imagination. Elles ont ce parfum de légende, de vague scandale, de passions littéraires. On ose espérer, à leurs propos, des articles moins bêtes et plus justes que celui de Jean-Paul Enthoven dans Le Point, pathétique, et pour tout dire, presque honteux. Le mieux, dans cet article du Point, c’est encore la photo (Blondin, Nimier et Morand « célébrant » l’échec de ce dernier à l’Académie française en 1958). Quoiqu’on pense de tous ces bonshommes, leurs échanges demeurent des documents inestimables. Pénétrer l’intimité de tels écrivains et observer la vie littéraire de cette seconde moitié de vingtième siècle, ça n’a pas de prix.          
                                                                  
 Par ailleurs, rappelons le Qui suis-je ? Chardonne (éditions Pardès) d’Alexandre Le Dinh, toujours disponible et bien accueilli par la critique (Service littéraire, Le Spectacle du Monde, Le Figaro littéraire, Valeurs Actuelles, Le Bulletin Célinien…). 

 A l’instar du premier Tome, la Correspondance Chardonne/Morand est tout à fait délectable. L’élégance lasse et limpide de la phrase chardonnienne voisine sans heurts aux côtés de la prose musclée, virtuose, « d’une belle santé classique » (Chardonne) de Morand. A la fois jubilatoire et fielleuse, amère et pleine d’humour, cette correspondance révèle leur totale liberté de ton. Deux épistoliers corrosifs et irrésistibles. Tandis que Chardonne paresse voluptueusement chez lui, Morand se cogne aux quatre coins de l’Europe : de Londres à Lisbonne en passant par Vevey. Chardonne aime à faire un compte-rendu de la vie parisienne à son complice. Entre mondanités et voyages, lectures et médisances, le repas est copieux. Nul doute, Chardonne et Morand savouraient leurs lettres réciproques. A noter, car c’est assez rare, que leur talent supplante leur vanité, leurs petites perfidies et arrogances.

  Morand, Nimier. Un père et un fils. Un père qui semble rajeunir au contact de ce fils intrépide, talentueux, irrévérencieux. Ce compagnonnage a de l’allure. Le cavalier Morand est remis en selle grâce à la fougue du Hussard bleu. Leur relation est touchante, intéressée aussi, mais elle est d’abord une reconnaissance mutuelle, instinctive, intime. Ces deux là se saluent bien bas, semblent trouver à la vie le même accent grave. D’une affection sincère à une correspondance facétieuse et roborative, il n’y a qu’un pas. Ils partagent le goût de la formule, des jolis bolides, des grands vins, du rugby… Morand commande des chemises chez son tailleur pour Nimier en prenant soin de lui demander son tour de col. "Nimier était mon agent de liaison vers la vie" confiera L’homme pressé après la mort accidentelle de l’enfant triste. Après, ce ne sera décidément plus pareil. 

"Correspondance II, 1961-1963", de Paul Morand et Jacques Chardonne, édition établie et présentée par Philippe Delpuech (Gallimard, 1 150 p., 46,50 euros).


"Correspondance 1950-1962", de Paul Morand et Roger Nimier, édition présentée, établie et annotée par Marc Dambre (Gallimard, 450 p., 34 euros).

Fortune de mer, Jean-Luc Coatalem

  

 Quel est le point commun entre une chanson de Miossec (« Fortune de Mer ») et le prix Goncourt 1912, André Savignon, pour les Filles de la pluie ? Cette chanson et ce récit ont inspiré le nouveau roman de Jean-Luc Coatalem, Fortune de Mer, une histoire joliment énigmatique qui se déroule sur l’île d’Ouessant, fragment de lande et de granit en mer d’Iroise. Qui voit Ouessant voit son sang. 

 A l’instar des Filles de la pluie, Jean-Luc Coatalem va relater des scènes de la vie ouessantine. On connait son goût pour les édens insulaires (Je suis dans les mers du Sud, Le gouverneur d’Antipodia…). Rien de plus évident alors pour ce brestois que de retrouver son nouveau récit en terre finistérienne. La saison estivale touche à sa fin. En ce tout début septembre, dans l’avion le menant de Guipavas à Ouessant, l’apiculteur Robien Lescop aperçoit le grand druide de Bretagne venu célébrer un mariage dans le strict respect de la tradition celte. Dès l’embarquement, il a également repéré une irrésistible reporter-photographe espagnole dont le maintien de danseuse interpelle la gent masculine. 

 Avant les « mois noirs », Ouessant va connaître son drame dans le déclin estival. Robin Lescop, l’habitué de Lampaul, est venu voir les abeilles noires dont la gelée royale permettra peut-être de créer une « crème anti-âge ». Dans l’atmosphère troublante de Ouessant, le héros est confronté à un ballet de déroutants personnages : un groupe d’ornithologues japonais, Vassili le chanteur breton rivé au bar depuis le tangage de ses amours, un drôle de type qui se rêve détective, et cette reporter espagnole, Lucia, qui disparaît bientôt dans la lande… 

 Dans le crachin, la poésie des embruns et les cœurs d’écume, Jean-Luc Coatalem signe un roman en forme de fable errante, tendrement farfelu, onirique et policière. Dans la sauvage Ouessant balayée par les phares, Coatalem déploie tout son talent de conteur, d’écrivain du paysage et de la mélancolie. Si vous aimez le tendre pastel des aubes finistériennes, le crépuscule en mer d’Iroise, alors vous ne serez pas déçus.

Fortune de mer, Jean-Luc Coatalem. Stock. 173 pages.

Le testament syrien, Alain Bonnand


 Un livre dédié aux « chambres à coucher » a toutes les chances de raviver le plaisir. Surtout écrit par Alain Bonnand, un de ces classiques souterrains et singuliers de la littérature française. Ses livres minces et racés aux titres malicieux (Les jambes d’Emilienne ne mènent à rien, Je vous adore si vous voulez, Cécile au diable, etc.) l’ont rendu culte. Ce qu’il y a de bien, c’est qu’il l’ignore encore, ou feint de l’ignorer. Elégance élémentaire. A l’automne dernier, il est revenu avec Le testament syrien, recueil de lettres adressées à son ami et écrivain Roland Jaccard.

 « Ni précis de littérature, ni précipité, ni récit de guerre ; juste un petit livre au titre viennois, voilà ce que je vais commettre » confie-t-il. Avec une placidité exquise et une espièglerie qu’on ne rencontre pas souvent, l’auteur raconte son quotidien à Damas (où il vivait depuis quatre ans) et, sans se faire le témoin du chaos syrien, a quand même des choses à dire : "On a su comment les choses avaient commencé à Deraa : des écoliers de dix et douze ans ont été arrêtés par la police secrète pour avoir Sali les murs avec des slogans de liberté vus à la télévision. (…) Quand ces enfants ont été rendus à leurs parents, il leur manquait les ongles des mains. Peut-être ont-ils bénéficié de cette sorte de soins manucures qui fait les grands guerriers littéraires ; l’avenir nous le dira."  Les syriens évoqués ne sont pas les protagonistes du conflit mais les gens croisés dans la vie de tous les jours qu’Alain Bonnand décrit avec une taquinerie bienveillante : un mendiant (« le spectaculaire »), un coiffeur, un imam, un épicier chagrin, etc. Il observe avec détachement et une causticité savoureuse les évènements :« Tirer ainsi sur les gens…Est-ce bien efficace ! Ces dictateurs sont des idiots. (D’avoir fait des études en Occident ne leur aura servi à rien) ».

 Il est pas mal question de littérature et de cuisine : Bonnand marche sur ses deux jambes. Entre la cuisson des asperges et des omelettes, l’auteur évoque Paul Gégauff (Le Toit des autres :« Giraudoux et Cocteau réunis ; un petit bijou de prose noire et rieuse »), Thomas Raucat (Loin des blondes), André Hardellet (le splendide Lourdes, lentes), Richard Millet, « sans doute l’auteur français qui a aujourd’hui à sa disposition les plus beaux moyens littéraires »… Alors que l’écume des jours s’ensanglante, on voit Alain Bonnand se rendre sur la tombe du poète syrien Nizar Qabbani qui « écrivait une poésie de haut luxe, où la poitrine des femmes occupe une grande place », suivre les résultats de ses équipes de foutebôle favorites (Reims, Sedan), s’occuper de ses filles, correspondre avec son fils demeuré en France…On retiendra un épisode particulièrement jubilatoire : Bonnand « terrorisant » quelques voyageurs français dans l’avion à leur arrivée en Syrie.


  C’est vif, drôle, cynique, dilettante, sensible, farceur. On trouve des phrases qu’on ne lirait pas chez un autre : « J’aime les cimetières, la vie s’y prolonge paisiblement », « Le grand échec de ma vie : je ne serai pas parvenu à être malheureux », « Qu’il y ait une porte, crois-moi, c’est déjà beaucoup » (en réponse à l’inquiétude de son fils qui, à la suite d’un cambriolage, voudrait que l’on fermât la porte à clef), « La littérature, cette grande veuve…La consoler au jour le jour, ce serait bien du boulot ; mais la prendre en passant, une fois tous les quinze ans, la remuer en même temps qu’on la fait rire, pourquoi pas ? »

Le testament syrien, Alain Bonnand, Editions Ecriture

Immortel, enfin, Pauline Dreyfus




« Et puis, heureusement, il n’est pas de l’Académie. » Michel Déon concluait ainsi un article consacré à Paul Morand dans les Nouvelles littéraires. C’était il y a bien longtemps. Depuis, Morand est entré à l’Académie (comme Michel Déon du reste). A fini par rentrer à l’Académie devrait-on dire. Cinq tentatives qui coururent de 1936 à celle, victorieuse, de 1968. Ce fut sa dernière bataille aurait dit Napoléon ; la plus importante se serait-il empressé de préciser. Ce premier roman de Pauline Dreyfus, Immortel, enfin, est une réussite totale. Il force l’admiration. C’est le portrait d’un homme qui, après s’être s’enivré d’ailleurs, est revenu de tout (vraiment de tout). Il y a une jolie phrase qui dit: « J’aimerais mettre un peu de distance entre ma vie et l’heure de ma mort ». Ce livre retranscrit également ça. Le portrait d’une vie à son crépuscule. Un portrait enlevé en diable, plein de grâce et d’esprit, roboratif et précis. Aussi jouissif que d’aller voyager avec une dame. Morandien en somme. 

 « Avant 1944, c’est l’époque qui triomphe chez Morand ; après 1944, il triomphe de l’époque » écrivait si justement Jacques Chardonne. Le même Chardonne qui, le 30 mai 1968, a regardé pour la dernière fois le ciel dans la fenêtre. Morand n’a pas pu se rendre à l’enterrement de son ami, son « maître à vieillir » : pas d’essence, pas de trains ; mai 68 a vraiment fait des ravages…Début de l’été 68, aux Hayes, dans la forêt de Rambouillet, un vieux couple glisse sur l’ultime versant de l’existence. Ca parle rosiers et printemps trop sec chez les Morand. Hélène a 90 ans ; elle est à demi sourde et à demi aveugle. (Plus tard, une jeune élève du conservatoire viendra lui faire la lecture : Nathalie Baye) Paul est octogénaire, arthritique et n’a plus de lettres à écrire à son regretté Chardonne, ce correspondant privilégié. Un coup de fil rompt la morosité ambiante. « C’est le moment » souffle Jacques de Lacretelle. Morand délaisse ses rosiers et rentre s’enfermer pour écrire une lettre : l’Académie, c’est pour cette fois.  

 Définitivement rayé du monde des ayants-droit et des ayants-joie, Paul Morand souffre atrocement des genoux, de l’échec de son dernier livre (Fouquet ou le soleil offusqué), s’étonne de cette nouvelle mode qui veut que les femmes soient bronzées (« Plus jamais les femmes n’auront cette peau de perle, tout opaque d’ombre et de fraîcheur, cette peau qui n’a jamais vu le soleil, abritée par des capelines de paille »). Morand ressasse ses souvenirs : « Il y a plus beau que Paris, c’est la nostalgie de Paris. » Morand déteste les chaises, lui qui n’écrit pas à son bureau mais partout où il le peut : en promenade, à cheval ; il a toujours du papier sur lui. Morand déplore ce nouveau monde « où l’on ne voyage plus, on arrive. » Cet amant insatiable des routes et des voyages sait de quoi il parle. Cette élection est pour lui une revanche. Une revanche sur l’Histoire, sur de Gaulle, sur Mauriac, son ennemi juré qui, en 1945, déclarait « Le pauvre Morand a bien raté son virage. » (allusion au « mauvais » camp choisi par Morand pendant la guerre et à son goût immodéré pour les bolides coûteux et la vitesse) Une revanche surtout sur une époque qui l’a injustement ignoré et qui aurait pu l’oublier définitivement si dans l’immédiat après-guerre Roger Nimier et les fameux hussards ne l’avaient sorti de sa « léthargie helvète. »  

 On reçoit encore avenue Charles-Floquet. On vient toujours prendre du bon temps et des conseils chez les Morand. Jean d’Ormesson, qui vient de publier Les illusions de la mer, salonnarde chez le maître en compagnie du quasi mutique Patrick Modiano (Morand s’est employé pour lui avoir le prix Roger Nimier pour son premier roman La place de l’Etoile) et d’un jeune homme très blond aspirant écrivain : François-Marie Banier. Autrefois (il n’y a pas si longtemps), on croisait Proust, Cocteau, Giraudoux..., Morand pouvait encore monter à cheval, distraire ses maîtresses au Ritz, se griser avec ses bolides entre deux croisières…C’est cruel, une mémoire. L’élection approche. L’occasion de passer en revue les échecs passés pour mieux jouir de la consécration à venir.



 En 1933, Morand n’a fait que « tâter le terrain. » On l’encourageait déjà à figurer sous la coupole. Un journal littéraire de 1928 avait interrogé ses lecteurs via un sondage pour savoir quel jeune écrivain devrait rentrer, en premier, à l’Académie. Le nom de Morand était arrivé largement en tête. Sa première candidature remonte à 1936 : ça coince. Récidiviste, Morand retente le coup en 1941 mais c’est la guerre : les académiciens refusent une nouvelle élection tant que la France sera occupée. Une déveine pourl’homme pressé. Et puis c’est la fin de la guerre, l’exil à Vevey, Morand n’est même pas sûr de revoir un jour la France, alors l’Académie ! 1957. Plus d’une décennie est passée.  Silence sépulcral autour du nom de Morand. L’exil suisse a des allures de malédiction. Morand n’en finit pas de payer son attitude pendant la guerre. (Il n’est pas resté à Londres en 1940 avec de Gaulle. Il fut par deux fois ambassadeur du gouvernement de Vichy. De Gaulle confiera notamment : « Il m’a manqué. » Ce livre révélera la « vraie » raison pour laquelle Morand est rentré à Paris en 1940 ; rien de politique) Voyant que l’élection de Morand parait acquise en cette année 1957, les milieux de gauche s’organisent et décident d’une campagne (virulente) dont la seule intention est de faire renoncer Morand à se présenter. Mauriac, plus vipérin que jamais, écrit le 15 mars en une du Figaro littéraire : « Voilà donc Bonnard qui revient d’Espagne, à une heure qu’il juge propice, celle où un autre écrivain du même bord avance d’une marche prudent vers la Coupole… » 

 Du même bord...Perfide Mauriac qu’on préfère avoir vu signé et organisé la demande de grâce pour Brasillach en 1945. Il jalouse en fait terriblement Morand qui fut son rival et l’homme qu’il rêvait sans doute secrètement d’être. Mauriac fait alors signer une pétition à dix académiciens qui goûtent peu la possible entrée de Morand à l’Académie. (Parmi les signataires : Jules Romains, André Chamson) On l’aura compris : il ne s’agit en rien de littérature pour cette élection de 1957. Ce n’est qu’une histoire de vengeance fielleuse, de bassesse politicienne, d’égos meurtris. « Les membres soussignés de l’Académie française ne contestent pas les titres littéraires de ce candidat mais font par de leur émotion et de leur trouble. » Il y aura riposte du « camp Morand. » Roger Nimier en tête qui, en une de Arts le 7 mai 1957 écrit : « Les belles voitures de Paul Morand lui ont fait beaucoup d’ennemis. Ecrivains, allez à pied ! » L’Affaire Morand fait la couverture de la revue avec une photo de l’écrivain au volant d’un bolide. On aura beau faire remonter tous les noms de juifs que Morand a aidés pendant la guerre, rien n’y fera. Morand ne verra toujours pas l’Académie. Pendant l’élection, une atmosphère de guerre civile ; Mauriac y déclarant même : « Heureusement, nous n’avons pas apporté nos épées… » 
 En 1959, c’est de Gaulle revenu au pouvoir qui fait savoir qu’il ne donnerait pas son approbation à l’élection de Morand « si l’Académie le décidait. » Morand retirera sa candidature ; il faudra patienter, encore…  

 Immortel, enfin, Pauline Dreyfus. Grasset