De nécessite vertu

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mardi 5 janvier 2016

Immortel, enfin, Pauline Dreyfus




« Et puis, heureusement, il n’est pas de l’Académie. » Michel Déon concluait ainsi un article consacré à Paul Morand dans les Nouvelles littéraires. C’était il y a bien longtemps. Depuis, Morand est entré à l’Académie (comme Michel Déon du reste). A fini par rentrer à l’Académie devrait-on dire. Cinq tentatives qui coururent de 1936 à celle, victorieuse, de 1968. Ce fut sa dernière bataille aurait dit Napoléon ; la plus importante se serait-il empressé de préciser. Ce premier roman de Pauline Dreyfus, Immortel, enfin, est une réussite totale. Il force l’admiration. C’est le portrait d’un homme qui, après s’être s’enivré d’ailleurs, est revenu de tout (vraiment de tout). Il y a une jolie phrase qui dit: « J’aimerais mettre un peu de distance entre ma vie et l’heure de ma mort ». Ce livre retranscrit également ça. Le portrait d’une vie à son crépuscule. Un portrait enlevé en diable, plein de grâce et d’esprit, roboratif et précis. Aussi jouissif que d’aller voyager avec une dame. Morandien en somme. 

 « Avant 1944, c’est l’époque qui triomphe chez Morand ; après 1944, il triomphe de l’époque » écrivait si justement Jacques Chardonne. Le même Chardonne qui, le 30 mai 1968, a regardé pour la dernière fois le ciel dans la fenêtre. Morand n’a pas pu se rendre à l’enterrement de son ami, son « maître à vieillir » : pas d’essence, pas de trains ; mai 68 a vraiment fait des ravages…Début de l’été 68, aux Hayes, dans la forêt de Rambouillet, un vieux couple glisse sur l’ultime versant de l’existence. Ca parle rosiers et printemps trop sec chez les Morand. Hélène a 90 ans ; elle est à demi sourde et à demi aveugle. (Plus tard, une jeune élève du conservatoire viendra lui faire la lecture : Nathalie Baye) Paul est octogénaire, arthritique et n’a plus de lettres à écrire à son regretté Chardonne, ce correspondant privilégié. Un coup de fil rompt la morosité ambiante. « C’est le moment » souffle Jacques de Lacretelle. Morand délaisse ses rosiers et rentre s’enfermer pour écrire une lettre : l’Académie, c’est pour cette fois.  

 Définitivement rayé du monde des ayants-droit et des ayants-joie, Paul Morand souffre atrocement des genoux, de l’échec de son dernier livre (Fouquet ou le soleil offusqué), s’étonne de cette nouvelle mode qui veut que les femmes soient bronzées (« Plus jamais les femmes n’auront cette peau de perle, tout opaque d’ombre et de fraîcheur, cette peau qui n’a jamais vu le soleil, abritée par des capelines de paille »). Morand ressasse ses souvenirs : « Il y a plus beau que Paris, c’est la nostalgie de Paris. » Morand déteste les chaises, lui qui n’écrit pas à son bureau mais partout où il le peut : en promenade, à cheval ; il a toujours du papier sur lui. Morand déplore ce nouveau monde « où l’on ne voyage plus, on arrive. » Cet amant insatiable des routes et des voyages sait de quoi il parle. Cette élection est pour lui une revanche. Une revanche sur l’Histoire, sur de Gaulle, sur Mauriac, son ennemi juré qui, en 1945, déclarait « Le pauvre Morand a bien raté son virage. » (allusion au « mauvais » camp choisi par Morand pendant la guerre et à son goût immodéré pour les bolides coûteux et la vitesse) Une revanche surtout sur une époque qui l’a injustement ignoré et qui aurait pu l’oublier définitivement si dans l’immédiat après-guerre Roger Nimier et les fameux hussards ne l’avaient sorti de sa « léthargie helvète. »  

 On reçoit encore avenue Charles-Floquet. On vient toujours prendre du bon temps et des conseils chez les Morand. Jean d’Ormesson, qui vient de publier Les illusions de la mer, salonnarde chez le maître en compagnie du quasi mutique Patrick Modiano (Morand s’est employé pour lui avoir le prix Roger Nimier pour son premier roman La place de l’Etoile) et d’un jeune homme très blond aspirant écrivain : François-Marie Banier. Autrefois (il n’y a pas si longtemps), on croisait Proust, Cocteau, Giraudoux..., Morand pouvait encore monter à cheval, distraire ses maîtresses au Ritz, se griser avec ses bolides entre deux croisières…C’est cruel, une mémoire. L’élection approche. L’occasion de passer en revue les échecs passés pour mieux jouir de la consécration à venir.



 En 1933, Morand n’a fait que « tâter le terrain. » On l’encourageait déjà à figurer sous la coupole. Un journal littéraire de 1928 avait interrogé ses lecteurs via un sondage pour savoir quel jeune écrivain devrait rentrer, en premier, à l’Académie. Le nom de Morand était arrivé largement en tête. Sa première candidature remonte à 1936 : ça coince. Récidiviste, Morand retente le coup en 1941 mais c’est la guerre : les académiciens refusent une nouvelle élection tant que la France sera occupée. Une déveine pourl’homme pressé. Et puis c’est la fin de la guerre, l’exil à Vevey, Morand n’est même pas sûr de revoir un jour la France, alors l’Académie ! 1957. Plus d’une décennie est passée.  Silence sépulcral autour du nom de Morand. L’exil suisse a des allures de malédiction. Morand n’en finit pas de payer son attitude pendant la guerre. (Il n’est pas resté à Londres en 1940 avec de Gaulle. Il fut par deux fois ambassadeur du gouvernement de Vichy. De Gaulle confiera notamment : « Il m’a manqué. » Ce livre révélera la « vraie » raison pour laquelle Morand est rentré à Paris en 1940 ; rien de politique) Voyant que l’élection de Morand parait acquise en cette année 1957, les milieux de gauche s’organisent et décident d’une campagne (virulente) dont la seule intention est de faire renoncer Morand à se présenter. Mauriac, plus vipérin que jamais, écrit le 15 mars en une du Figaro littéraire : « Voilà donc Bonnard qui revient d’Espagne, à une heure qu’il juge propice, celle où un autre écrivain du même bord avance d’une marche prudent vers la Coupole… » 

 Du même bord...Perfide Mauriac qu’on préfère avoir vu signé et organisé la demande de grâce pour Brasillach en 1945. Il jalouse en fait terriblement Morand qui fut son rival et l’homme qu’il rêvait sans doute secrètement d’être. Mauriac fait alors signer une pétition à dix académiciens qui goûtent peu la possible entrée de Morand à l’Académie. (Parmi les signataires : Jules Romains, André Chamson) On l’aura compris : il ne s’agit en rien de littérature pour cette élection de 1957. Ce n’est qu’une histoire de vengeance fielleuse, de bassesse politicienne, d’égos meurtris. « Les membres soussignés de l’Académie française ne contestent pas les titres littéraires de ce candidat mais font par de leur émotion et de leur trouble. » Il y aura riposte du « camp Morand. » Roger Nimier en tête qui, en une de Arts le 7 mai 1957 écrit : « Les belles voitures de Paul Morand lui ont fait beaucoup d’ennemis. Ecrivains, allez à pied ! » L’Affaire Morand fait la couverture de la revue avec une photo de l’écrivain au volant d’un bolide. On aura beau faire remonter tous les noms de juifs que Morand a aidés pendant la guerre, rien n’y fera. Morand ne verra toujours pas l’Académie. Pendant l’élection, une atmosphère de guerre civile ; Mauriac y déclarant même : « Heureusement, nous n’avons pas apporté nos épées… » 
 En 1959, c’est de Gaulle revenu au pouvoir qui fait savoir qu’il ne donnerait pas son approbation à l’élection de Morand « si l’Académie le décidait. » Morand retirera sa candidature ; il faudra patienter, encore…  

 Immortel, enfin, Pauline Dreyfus. Grasset 

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