De nécessite vertu

De nécessite vertu

mardi 5 janvier 2016

Correspondances Chardonne/Morand, Morand/Nimier : feux croisés




 Les aficionados Morandiens sont à la fête. Leurs amis Chardonniens ne sont pas en reste. Les copains de Nimier également. Parution du deuxième volume de la Correspondance Chardonne/Morand, ainsi que de la Correspondance Morand/Nimier chez Gallimard, collection Blanche. Il faudrait ajouter, pour être un parfait gentleman, la Correspondance Chardonne/Nimier publiée, elle, il y a vingt ans. 

  Ces correspondances, comme la confiture d’orange, parlent à l’imagination. Elles ont ce parfum de légende, de vague scandale, de passions littéraires. On ose espérer, à leurs propos, des articles moins bêtes et plus justes que celui de Jean-Paul Enthoven dans Le Point, pathétique, et pour tout dire, presque honteux. Le mieux, dans cet article du Point, c’est encore la photo (Blondin, Nimier et Morand « célébrant » l’échec de ce dernier à l’Académie française en 1958). Quoiqu’on pense de tous ces bonshommes, leurs échanges demeurent des documents inestimables. Pénétrer l’intimité de tels écrivains et observer la vie littéraire de cette seconde moitié de vingtième siècle, ça n’a pas de prix.          
                                                                  
 Par ailleurs, rappelons le Qui suis-je ? Chardonne (éditions Pardès) d’Alexandre Le Dinh, toujours disponible et bien accueilli par la critique (Service littéraire, Le Spectacle du Monde, Le Figaro littéraire, Valeurs Actuelles, Le Bulletin Célinien…). 

 A l’instar du premier Tome, la Correspondance Chardonne/Morand est tout à fait délectable. L’élégance lasse et limpide de la phrase chardonnienne voisine sans heurts aux côtés de la prose musclée, virtuose, « d’une belle santé classique » (Chardonne) de Morand. A la fois jubilatoire et fielleuse, amère et pleine d’humour, cette correspondance révèle leur totale liberté de ton. Deux épistoliers corrosifs et irrésistibles. Tandis que Chardonne paresse voluptueusement chez lui, Morand se cogne aux quatre coins de l’Europe : de Londres à Lisbonne en passant par Vevey. Chardonne aime à faire un compte-rendu de la vie parisienne à son complice. Entre mondanités et voyages, lectures et médisances, le repas est copieux. Nul doute, Chardonne et Morand savouraient leurs lettres réciproques. A noter, car c’est assez rare, que leur talent supplante leur vanité, leurs petites perfidies et arrogances.

  Morand, Nimier. Un père et un fils. Un père qui semble rajeunir au contact de ce fils intrépide, talentueux, irrévérencieux. Ce compagnonnage a de l’allure. Le cavalier Morand est remis en selle grâce à la fougue du Hussard bleu. Leur relation est touchante, intéressée aussi, mais elle est d’abord une reconnaissance mutuelle, instinctive, intime. Ces deux là se saluent bien bas, semblent trouver à la vie le même accent grave. D’une affection sincère à une correspondance facétieuse et roborative, il n’y a qu’un pas. Ils partagent le goût de la formule, des jolis bolides, des grands vins, du rugby… Morand commande des chemises chez son tailleur pour Nimier en prenant soin de lui demander son tour de col. "Nimier était mon agent de liaison vers la vie" confiera L’homme pressé après la mort accidentelle de l’enfant triste. Après, ce ne sera décidément plus pareil. 

"Correspondance II, 1961-1963", de Paul Morand et Jacques Chardonne, édition établie et présentée par Philippe Delpuech (Gallimard, 1 150 p., 46,50 euros).


"Correspondance 1950-1962", de Paul Morand et Roger Nimier, édition présentée, établie et annotée par Marc Dambre (Gallimard, 450 p., 34 euros).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire