De nécessite vertu

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mardi 5 janvier 2016

Le testament syrien, Alain Bonnand


 Un livre dédié aux « chambres à coucher » a toutes les chances de raviver le plaisir. Surtout écrit par Alain Bonnand, un de ces classiques souterrains et singuliers de la littérature française. Ses livres minces et racés aux titres malicieux (Les jambes d’Emilienne ne mènent à rien, Je vous adore si vous voulez, Cécile au diable, etc.) l’ont rendu culte. Ce qu’il y a de bien, c’est qu’il l’ignore encore, ou feint de l’ignorer. Elégance élémentaire. A l’automne dernier, il est revenu avec Le testament syrien, recueil de lettres adressées à son ami et écrivain Roland Jaccard.

 « Ni précis de littérature, ni précipité, ni récit de guerre ; juste un petit livre au titre viennois, voilà ce que je vais commettre » confie-t-il. Avec une placidité exquise et une espièglerie qu’on ne rencontre pas souvent, l’auteur raconte son quotidien à Damas (où il vivait depuis quatre ans) et, sans se faire le témoin du chaos syrien, a quand même des choses à dire : "On a su comment les choses avaient commencé à Deraa : des écoliers de dix et douze ans ont été arrêtés par la police secrète pour avoir Sali les murs avec des slogans de liberté vus à la télévision. (…) Quand ces enfants ont été rendus à leurs parents, il leur manquait les ongles des mains. Peut-être ont-ils bénéficié de cette sorte de soins manucures qui fait les grands guerriers littéraires ; l’avenir nous le dira."  Les syriens évoqués ne sont pas les protagonistes du conflit mais les gens croisés dans la vie de tous les jours qu’Alain Bonnand décrit avec une taquinerie bienveillante : un mendiant (« le spectaculaire »), un coiffeur, un imam, un épicier chagrin, etc. Il observe avec détachement et une causticité savoureuse les évènements :« Tirer ainsi sur les gens…Est-ce bien efficace ! Ces dictateurs sont des idiots. (D’avoir fait des études en Occident ne leur aura servi à rien) ».

 Il est pas mal question de littérature et de cuisine : Bonnand marche sur ses deux jambes. Entre la cuisson des asperges et des omelettes, l’auteur évoque Paul Gégauff (Le Toit des autres :« Giraudoux et Cocteau réunis ; un petit bijou de prose noire et rieuse »), Thomas Raucat (Loin des blondes), André Hardellet (le splendide Lourdes, lentes), Richard Millet, « sans doute l’auteur français qui a aujourd’hui à sa disposition les plus beaux moyens littéraires »… Alors que l’écume des jours s’ensanglante, on voit Alain Bonnand se rendre sur la tombe du poète syrien Nizar Qabbani qui « écrivait une poésie de haut luxe, où la poitrine des femmes occupe une grande place », suivre les résultats de ses équipes de foutebôle favorites (Reims, Sedan), s’occuper de ses filles, correspondre avec son fils demeuré en France…On retiendra un épisode particulièrement jubilatoire : Bonnand « terrorisant » quelques voyageurs français dans l’avion à leur arrivée en Syrie.


  C’est vif, drôle, cynique, dilettante, sensible, farceur. On trouve des phrases qu’on ne lirait pas chez un autre : « J’aime les cimetières, la vie s’y prolonge paisiblement », « Le grand échec de ma vie : je ne serai pas parvenu à être malheureux », « Qu’il y ait une porte, crois-moi, c’est déjà beaucoup » (en réponse à l’inquiétude de son fils qui, à la suite d’un cambriolage, voudrait que l’on fermât la porte à clef), « La littérature, cette grande veuve…La consoler au jour le jour, ce serait bien du boulot ; mais la prendre en passant, une fois tous les quinze ans, la remuer en même temps qu’on la fait rire, pourquoi pas ? »

Le testament syrien, Alain Bonnand, Editions Ecriture

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