Un
livre dédié aux « chambres à coucher » a toutes les chances de raviver le
plaisir. Surtout écrit par Alain Bonnand, un de ces classiques souterrains et
singuliers de la littérature française. Ses livres minces et racés aux titres
malicieux (Les jambes d’Emilienne ne mènent à rien, Je vous adore si vous voulez, Cécile au diable, etc.) l’ont rendu culte. Ce
qu’il y a de bien, c’est qu’il l’ignore encore, ou feint de l’ignorer. Elégance
élémentaire. A l’automne dernier, il est revenu avec Le testament syrien, recueil
de lettres adressées à son ami et écrivain Roland Jaccard.
« Ni précis de littérature, ni précipité, ni récit de guerre
; juste un petit livre au titre viennois, voilà ce que je vais commettre »
confie-t-il. Avec une placidité exquise et une espièglerie qu’on ne rencontre
pas souvent, l’auteur raconte son quotidien à Damas (où il vivait depuis quatre
ans) et, sans se faire le témoin du chaos syrien, a quand même des choses à
dire : "On a su comment les choses avaient commencé à Deraa : des écoliers
de dix et douze ans ont été arrêtés par la police secrète pour avoir Sali les
murs avec des slogans de liberté vus à la télévision. (…) Quand ces enfants ont
été rendus à leurs parents, il leur manquait les ongles des mains. Peut-être
ont-ils bénéficié de cette sorte de soins manucures qui fait les grands guerriers
littéraires ; l’avenir nous le dira." Les syriens évoqués ne sont
pas les protagonistes du conflit mais les gens croisés dans la vie de tous les
jours qu’Alain Bonnand décrit avec une taquinerie bienveillante : un mendiant
(« le spectaculaire »), un coiffeur, un imam, un épicier chagrin, etc. Il
observe avec détachement et une causticité savoureuse les évènements :« Tirer
ainsi sur les gens…Est-ce bien efficace ! Ces dictateurs sont des idiots.
(D’avoir fait des études en Occident ne leur aura servi à rien) ».
Il est pas mal question de littérature et de cuisine :
Bonnand marche sur ses deux jambes. Entre la cuisson des asperges et des
omelettes, l’auteur évoque Paul Gégauff (Le Toit des autres :« Giraudoux et Cocteau réunis ; un
petit bijou de prose noire et rieuse »), Thomas Raucat (Loin des blondes),
André Hardellet (le splendide Lourdes,
lentes), Richard Millet, « sans doute l’auteur français qui a aujourd’hui à
sa disposition les plus beaux moyens littéraires »… Alors que l’écume des jours
s’ensanglante, on voit Alain Bonnand se rendre sur la tombe du poète syrien
Nizar Qabbani qui « écrivait une poésie de haut luxe, où la poitrine des femmes
occupe une grande place », suivre les résultats de ses équipes de foutebôle
favorites (Reims, Sedan), s’occuper de ses filles, correspondre avec son fils
demeuré en France…On retiendra un épisode particulièrement jubilatoire :
Bonnand « terrorisant » quelques voyageurs français dans l’avion à leur arrivée
en Syrie.
C’est vif, drôle, cynique, dilettante, sensible, farceur.
On trouve des phrases qu’on ne lirait pas chez un autre : « J’aime les
cimetières, la vie s’y prolonge paisiblement », « Le grand échec de ma vie : je
ne serai pas parvenu à être malheureux », « Qu’il y ait une porte, crois-moi,
c’est déjà beaucoup » (en réponse à l’inquiétude de son fils qui, à la suite
d’un cambriolage, voudrait que l’on fermât la porte à clef), « La littérature,
cette grande veuve…La consoler au jour le jour, ce serait bien du boulot ; mais
la prendre en passant, une fois tous les quinze ans, la remuer en même temps
qu’on la fait rire, pourquoi pas ? »
Le testament syrien, Alain Bonnand, Editions Ecriture
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