Comme le titre ne
l’indique pas, ce roman est tout sauf moyen. C’est même un excellent récit sur
la médiocrité humaine. Cette médiocrité étant le bien le mieux partagé, on y
sera tous sensible. Violence du moyen
ou le moyen de se faire violence.
Un métier d’avenir.
Le protagoniste principal, Aymeric Corbot, est rédacteur au « Bureau des
Lettres Anonymes ». L’incapacité à s’exprimer des uns, le foisonnement des
petites lâchetés des autres, la malveillance galopante de certains devaient
bien profiter à un type comme Aymeric Corbot. Des clients sollicitent donc sa
plume. Ils ont toutes sortes de dilemmes ou de mauvaises intentions. Les
demandes ne se démentent pas. Le « Bureau » est une sorte de courrier
du cœur d’un genre nouveau. Ici, les cœurs sont sombres et malmenés.
Sébastien Boffret est
son client le plus investi. Anti-héros d’excellence, ce quadragénaire inactif
qui semble en bout de course s’est amouraché de sa voisine Carole à qui il
n’ose pas se déclarer. Il fait donc appel à Corbot pour qu’il use de toute sa
science épistolaire. Les lettres exigées ne s’apparentent guère à une romance,
même sans paroles. Si des harceleurs se justifient en parlant d’amour,
Sébastien Boffret aime passionnément sa voisine… L’obsession, ce joli prélude à
la tragédie. « Le viol, c’est comme la confiture d’orange, ça parle à
l’imagination »… Boffret ne se contente pas d’imaginer. Il passe alors par
la case prison, pour vingt-cinq ans (si tous les violeurs pouvaient, a minima,
connaître une telle condamnation…). L’ironie, cruelle, veut que la charmante
Carole s’était renseignée auparavant au fameux Bureau pour savoir qui était son
opiniâtre prétendant… Parce qu'elle « s'est attachée à ces lettres et,
plus encore, à l'homme qu'il y a derrière. Évidemment, il y a parfois quelque
chose d'effrayant à les lire – elles sont d'ailleurs de plus en plus menaçantes
– mais... ». Psychologie féminine… S’ensuit une correspondance entre
Corbot et Boffret, à l’initiative de ce dernier. Ils se lient d’amitié. Corbot
propose à son compère inattendu de lui trouver des correspondants pour égayer
son quotidien carcéral. Finalement, tout ne va pas si mal dans le plus mauvais
des mondes.
Savoir se débarrasser
de la morale, c’est encore la meilleure façon d’écrire de belles pages. De s’en
donner les moyens, au moins. Arnaud Roustan l’a bien compris. Pas de triche
dans ce premier roman maîtrisé où le subtil fréquente la rudesse dans un
concubinage réussi. La langue est impeccable. Plusieurs registres de style
selon les personnages. On trouve de bonnes formules : « la multitude
est l’homéopathie du divin » ; « le drame des vies d’aujourd’hui,
c’est de manquer d’évènements ; vous vous êtes montré terriblement
réactionnaire » ; « adolescence : âge où l’on s’exprime sur des
choses qu’on n’a jamais éprouvées, ce qui laisse plus fertile
l’imagination »…
L’alternance entre le
récit et les correspondances rythme sans fausses notes l’histoire. Se dégage un
roman épistolaire enchâssé dans le récit. C’est finalement moins l’âpreté et la
cruauté qui dominent qu’une certaine mélancolie, un désabusement amusé. Corbot,
personnage principal, est un être intelligent qui ne s’extirpe pas de la
banalité des jours et se contente de sa médiocrité en songeant à ses
aspirations qui n’ont pas abouties. Ecrire à la place des autres, c’est
forcément hériter un peu de leur fidélité au malheur et se rappeler au sien.
Dans Violence du moyen, ce qui se passe est
d’une certaine manière moins cruel et moins dévastateur que ce qu’il ne s’est
pas passé. C’est une sorte d’histoire d’amour avortée avec la vie que les
personnages trimbalent chaque jour que Dieu fait. Voilà un roman mordant,
malin, ironique, assez émouvant, dérangeant juste ce qu’il faut. Aussi original
que le quotidien morose et désenchanté de ses protagonistes.
Violence du moyen, Arnaud Roustan, Editons l'Âge d'Homme
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