Lorsqu’est publié le
livre posthume d’un écrivain qui compte beaucoup pour soi, on ne peut
s’empêcher d’avoir une prudence de Sioux. Quelques péripéties trop bien connues
– texte inachevé, ou au contraire achevé… par d’autres, tentative pas toujours
louable de l’éditeur… – rôdent dans les têtes. Toute pensée de ce genre sera
d’emblée dissipée à la lecture de la publication, chez Stock, du récit posthume
de Jean-Claude Pirotte (disparu en mai 2014), Le Silence.
Au préalable, il convient
de saluer la si juste et jolie préface de Philippe Claudel : « Poète
d’une littérature d’ébriété et d’émiettement, Pirotte à construit sa propre
légende, celle d’un errant misérable (…) à qui le tabac et le vin, les livres,
la vie fragile des hommes, les étoiles et les paysages, donnaient quelques
joies durables et des raisons, sinon d’espérer, du moins de supporter l’épreuve
du jour ». On a rarement parlé aussi admirablement de l’auteur d’Une adolescence en Gueldre (2006).
Le silence est un livre aussi énigmatique et enivrant que l’était
son auteur. Mince et délicat (80 pages écrites en 2011 – « je n’ai pas
l’âge romanesque » écrit Pirotte), ce récit assez singulier est une sorte
de recueil construit en brefs chapitres qui sont autant de souvenirs (l’enfance,
le travail des vendanges, les amitiés…), de témoignages, de descriptions de
paysages. C’est un ressassement merveilleux qui rappelle les derniers livres de
Jacques Chardonne (notamment par le déroulé décousu d’une mémoire et de ses
portraits, ainsi que par sa brièveté), dont Jean-Claude Pirotte est un digne
héritier.
De ce « silence
habité », sobre et profond, Pirotte tire un récit où la majesté de
l’intime se déploie avec pudeur, élégance et poésie. C’est un livre subtil et
souverain où souffle l’esprit.
L’esprit du vin et de l’ivresse, aussi, avec ses nombreuses métaphores
viticoles. « Je n’ai pas trouvé la poésie dans le vin, mais le vin dans la
poésie. Dans ma cave, il n’y a pas de vin. Il n’y a que d’heureuses
espérances ». Ce récit de déambulations est écrit avec la grâce du vague à
l’âme, avec la mélancolie de celui qui tend la main vers sa jeunesse perdue.
Le silence, Jean-Claude Pirotte, Stock.