« A vouloir
vivre avec son temps, on meurt avec son époque » écrivait Stendhal. Ca ne
risque pas d’arriver à Thomas Morales qui, avec son recueil de chroniques, Adios, régale et émeut en prouvant combien
c’était mieux avant.
Plus qu’un simple
recueil de chroniques (parues dans Causeur, Service littéraire, Valeurs actuelles…), Adios
dessine les contours d’une carte du Tendre, une cartographie du (bon) goût où
la nostalgie, explorée et magnifiée, reprend ses lettres de
noblesse : « Regarder en arrière ne signifie pas abandonner mais
résister » souligne à raison Thomas Morales.
Dans un juste et
touchant avant-propos, une sensibilité passe, élégante et fort bien
retranscrite, autour de laquelle nous nous retrouvons comme autour d’un
feu : « Nous savions reconnaître l’instruction d’un homme à
d’imperceptibles détails, la façon de prononcer
un nom propre ou de payer une tourner au café. (…) De cette époque
brouillonne, nous avions compris le sens de l’histoire. Il tournerait en notre
défaveur. Un à un, tout ce qui faisait notre singularité serait piétiné,
souillé, avili ».
Adios serpente entre les années 50 et 80. Ces décennies sont
fredonnées du bout des livres. Rutilent sur les écrans de cinéma, à la télé, à
la radio ; vibrent avec le sport ; rugissent sous les carrosseries
des automobiles (Thomas Morales en est un passionné dont l’expertise n’est plus
à démontrer depuis son Dictionnaire
élégant de l’automobile). Le titre du recueil renvoie au merveilleux roman du
même nom de Kléber Haedens, fratriarche à
demi oublié aujourd’hui (à noter la biographie que lui a consacrée Etienne de Montety) à
qui l’on doit les tendresses déchirantes de L’air
du pays ou du Salut au Kentucky, des
ravissements mélancoliques comme L’été
finit sous les tilleuls, ainsi qu’une gaillarde Histoire de la littérature
française qui, dans un monde idéal, dessilleraient les yeux estudiantins, dispenserait
le panache aux jeunes hommes, l’honnêteté aux jeunes femmes.
C’est l’art de vivre à la française qu’on
retrouve dans les pages d' Adios. Cet art de vivre si précieux qui disparaît sans
émouvoir grand monde. Au contraire de Thomas Morales qui pourrait emprunter au
Deslauriers de la fin de L’Education
Sentimentale : « c’est là ce que nous avons eu de meilleur ! ». On
pense aussi aux personnages de Michel Mohrt, le genre « à ne jamais s’en
remettre ». De quoi donc Thomas Morales ne se remet-il pas ?
Des jolies choses
comme « l’érotisme langoureux et le charme vipérin » du carré magique
de La Piscine (Romy Schneider, Jane
Birkin, Delon, Ronet) ; le spleen frondeur des personnages des Tricheurs ; l’aplomb des actrices
italiennes, le vrombissement suave de leurs films ; le surgissement de
Martine Carol, les filles en robe Vichy, les flirts dans « une douceur de
soir d’été parisien, mallarméenne » chez René Fallet ; les chansons
de Nino Ferrer, les dialogues d’Audiard (« C’était une époque, les années 60-70, où le cinéma avait
des lettres », les films de Lautner, la gueule de Gabin, les
cabrioles de Belmondo ; la grâce de Jean-Claude Pirotte, le poignant
Berthet, les dons de Patrick Besson, la prose calibrée de Jacques Perret, le
déroutant Enard, la mélancolie vagabonde de Blondin, les correspondances des
Hussards, les promenades de Léon-Paul Fargue ou d’André Hardellet ; la
bonne bouffe, les Roland-Garros tendance Patrice Dominguez, Lui première jeunesse…
Ces chroniques
révèlent la nostalgie d’une époque que l’on n’a pas connue : c’est la plus
vénéneuse, la plus séduisante. Thomas Morales montre que de « simples »
chroniques peuvent révéler un vrai bel écrivain. Aux charmes des évocations
s’ajoutent de bravaches saillies, de jolies émotions et ce qu’il faut de
causticité. La belle santé de la prose s’accompagne de formules ajustées (« Dans
chaque grand écrivain sommeille un dictateur débonnaire ») et
d’impeccables rythmiques (« Il y a des lectures indispensables, des rituels
d’été, des manies de vieux garçon, des errements de bords de Seine »). Tout
séduit, tout enivre dans ces pages.
Adios de Thomas Morales, éditions
Pierre-Guillaume de Roux, 172 pages.